vendredi 17 février 2012

Les idées libérales d’un patron, Henri Schneider

Henri Schneider : Mais les socialistes, qu’est-ce qu’ils veulent ?
Jules Huret : On dit qu’ils voudraient supprimer le patronat... ou plutôt les privilèges
exagérés des patrons.
Henri Schneider : Est-ce admissible ? Ne faut-il pas une tête pour penser ? Rêve-t-on un
Pasteur1 sans tête qui trouverait, avec ses mains ou ses pieds, le moyen de guérir la rage ? De
même, comment admet-on une usine sans une tête qui pense pour tous les autres, un patron ?

Jules Huret : Mais, s’il faut une direction à l’usine, est-il indispensable que ce directeur
absorbe à lui seul tous les bénéfices2 ?
Henri Schneider : Ça, c’est autre chose. Pensez-vous qu’il ne faut pas de l’argent pour faire
marcher une « boîte » comme celle-ci ? À côté du directeur, de la tête, il y a le capitaliste, celui
qui apporte la forte somme.
C’est ce capital qui alimente tous les jours les usines en outillages perfectionnés, le capital sans
lequel rien n’est possible, le capital qui nourrit l’ouvrier lui-même. Ne représente-t-il pas une
force qui doit avoir sa part des bénéfices ? Comment empêcher le capital de se former ?
Je prends un exemple.
Il y avait un ouvrier qui gagnait cinq francs par jour. Il s’est dit : « Tiens ! Bibi n’a besoin
que de quatre francs pour vivre, Bibi va mettre un franc de côté tous les jours. » Au bout de
l’année, il a 365 francs. Il recommence l’année suivante, dix ans, vingt ans de suite, et voilà un
capitaliste ! Presque un petit patron ! Son fils pourra agrandir le capital paternel, c’est peut-être
une grande fortune qui commence.

Jules Huret : Mais si l’ouvrier a cinq enfants et une femme à nourrir, comment mettra-t-il
de l’argent de côté ? Bibi n’aura-t-il pas plutôt faim ?
Henri Schneider : M. Schneider leva les bras et les épaules d’un air qui signifiait : qu’y faire ?
Et il dit en effet : - Ça, c’est une loi fatale.., On tâche, ici, de corriger, le plus qu’on peut, cette
inégalité... mais comment la supprimer ? Oh ! À cet égard, le Pape a dit tout ce qu’il y avait
à dire. Je trouve que sa dernière Encyclique est une merveille de sagesse et de bon sens. Il y
explique que le patron a des devoirs à remplir vis-à-vis des salariés.

Jules Huret : Et l’expropriation des industriels et des capitalistes, annoncée par les
marxistes, comment l’envisagez-vous ?
Henri Schneider : C’est du vol ! On peut aller chez vous, prendre tout ce qu’il y a et vous
expulser ! Je ne vois vraiment pas comment tout cela pourrait s’arranger.

Jules Huret : Que pensez-vous de l’intervention de l’État ? De la journée de huit heures
[de travail] ?
Henri Schneider : Je n’admets pas du tout l’intervention d’un préfet3 dans les grèves. C’est
comme la réglementation du travail des femmes et des enfants. On décourage les patrons de les
employer. Pour moi, la vérité, c’est qu’un ouvrier bien portant peut très bien faire ses dix heures
de travail par jour et qu’on doit le laisser libre de travailler davantage si ça lui fait plaisir.

D’après Jules Huret, Enquête sur la question sociale en Europe, 1897.

1. Louis Pasteur est un savant français qui découvre en 1885 le vaccin contre la rage.
2. Les bénéfices : l’argent gagné par l’entreprise.
3. Le préfet : le représentant de l’État, chargé en particulier du maintien de l’ordre en cas de grève.

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